Trump, la pensée nazie et la nécessité de la combattre (Et ce que tout cela a à voir avec nous)

Pour nous guider dans la complexité de la situation mondiale, je maintiens que nous devons tenir compte du fait que dans les luttes sociales de nos jours, il y a le développement de contradictions qui vont au-delà des contradictions de classe.

Roberto Robaina 27 jun 2020, 18:03

Lorsque Trump a ordonné la répression des manifestants qui protestaient devant les grilles de la Maison Blanche pour pouvoir traverser la rue et se faire photographier, bible en main, devant l’église Saint John’s, il présentait symboliquement l’essentiel de son programme pour faire face à la crise en général et, en particulier, à la rébellion des Noirs et des jeunes qui avait explosé quelques jours auparavant aux États-Unis.

Ce mois de juin 2020 restera marqué dans l’histoire par la plus grande vague de protestation qu’aient connue les aux États-Unis ces 50 dernières années. Ses effets n’en sont qu’au début. Trump n’a pas caché que son gouvernement a traité les manifestations comme s’il s’agissait d’épisodes d’une guerre interne. C’est pourquoi, dans ses déclarations, il menaçait de faire appel aux forces armées. Avant cela, et en même temps, cette fois sur ordre des gouverneurs et des maires, les forces de police internes ont essayé d’étouffer le mouvement avec des couvre-feux, des gaz lacrymogènes, des bousculades, des coups de poing et des balles en caoutchouc. Le mouvement a tenu bon, n’a pas quitté les rues, et même le couvre-feu a été défié et vaincu.

Cette démonstration de courage des manifestants face à la police a consacré une victoire stratégique. La répression a été vaincue. Ensuite, les leaders de l’opposition bourgeoise se sont publiquement et ouvertement prononcés en faveur des manifestants, et le plus grand symbole de cela a été la déclaration d’Obama. Bien sûr, la victoire fut celle d’une bataille. Après tout, la guerre plus ou moins ouverte, plus ou moins consciente, est loin d’avoir entré dans sa phase la plus décisive. En ce sens, il faut reconnaître une rationalité dans l’analyse de Trump : effectivement, il s’agit bien d’une guerre et il l’a déjà déclarée. Sa politique oriente une partie de la classe dirigeante américaine, tout en bénéficiant du soutien d’un secteur des masses (il commande également certains de ses sous-fifres dans le monde, comme le président Bolsonaro). Il y a ici deux observations à faire immédiatement à propos des États-Unis concernant le rapport de forces.

La première est que le secteur de masse qui soutient Trump, bien que fort, est minoritaire et n’est pas sur une dynamique d’extension, même s’il a tendance à être plus agressif à mesure qu’il perd sa base sociale. La seconde est que la bourgeoisie nord-américaine n’a pas adhéré de façon unanime au programme de Trump. Loin de là : la classe dirigeante est divisée. Une partie importante de celle-ci s’opposait, par exemple, à ses discours pendant la rébellion. Et il est clair que la majorité, y compris d’importants secteurs des forces armées (24% de la base est composée de Noirs) se sont opposés au président après que les manifestants eurent prouvé qu’il faudrait les prendre au sérieux. L’évolution de cette division est l’une des inconnues des années à venir.

Pour nous guider dans la complexité de la situation mondiale, je maintiens que nous devons tenir compte du fait que dans les luttes sociales de nos jours, il y a le développement de contradictions qui vont au-delà des contradictions de classe. Il y a la contradiction principale entre le capitalisme et les forces qui le nient. Nous savons que ces forces négatives ne se déploient ni automatiquement ni spontanément en une affirmation positive. L’idée communiste, l’affirmation la plus expressive de l’alternative positive au capitalisme au long de l’histoire, reste faible après avoir montré sa puissance dans la première moitié du 20ème siècle.

En tout cas, la principale contradiction de l’époque historique est entre le capitalisme et le communisme. Une autre contradiction principale, qui s’ajoute à la précédente, est identifiée dans la contradiction entre ce qu’Alain Badiou appelle la tradition et la modernité. Il y a, dans cette deuxième contradiction, une sorte de réactualisation, dans des temps historiques différents, d’une tension qui s’est également produite lors de la montée du fascisme et surtout du nazisme. Une actualisation des tensions ne signifie pas une répétition. Nous avons donc deux contradictions principales, et non une seule. Nous pouvons en déduire un certain niveau de compréhension des subjectivités de la situation mondiale actuelle. Pour ce faire, il est essentiel de poursuivre la réflexion sur les coordonnées qui ont marqué le XXe siècle.

Deux puissantes forces subjectives ont marqué la scène européenne dans les années 20 et 30 du siècle précédent. Toutes deux promettaient un avenir meilleur. Le communisme prêchait un homme nouveau, encore à venir, marqué par la liberté et l’égalité, issu de la destruction des institutions capitalistes et de leur dépassement par une nouvelle institutionnalité construite d’en bas. Le nazisme aussi promettait un homme nouveau. Il est venu en réaction à la croissance du communisme. Comme l’explique Alain Badiou, avec ses camps de concentration, ses chambres à gaz, il disait prôner un homme nouveau, le retour du vieil homme qui avait été effacé et corrompu, dont la purification exigeait un retour à une origine disparue, en passant par la destruction des institutions de la démocratie capitaliste bourgeoise. Dans ce cas, comme l’explique Badiou, en se basant sur la défense d’un passé de gloire, un homme inspiré par la race, le sang, la nation, la terre, ayant comme prédicat le guerrier nordique et l’aryen. Le nazisme aussi était une pensée politique, avec son projet de guerre impériale, nationale, raciale, fondatrice d’un Reich millénaire, dont les conséquences pratiques n’ont pas été affrontées par les pays capitalistes. Le nazisme, pourtant, avait un projet de domination mondiale et de destruction de l’Union soviétique.

Le projet nazi soutenu par la bourgeoisie allemande et qui a suscité des sympathies dans les bourgeoisies d’autres pays capitalistes, dont celles de États-Unis, a entraîné le monde dans une guerre ouverte, totale, implacable, dont le but d’exterminer les Juifs, les Noirs, les communistes et les libertés démocratiques était évident. Cette guerre a amené les forces de l’URSS d’alors et des États capitalistes dotés de régimes démocratiques bourgeois à s’aligner contre les forces du nazisme et du fascisme, le mouvement ouvrier et populaire participa activement à la résistance contre les forces nazies, constituant à certains moments la principale force de cette résistance, notamment dans des pays comme la France, l’Italie et la Grèce, pour ne citer que les plus importants.

La défaite des nazis a été complète lors de la Seconde Guerre mondiale, ils ont dû affronter au même temps les forces soviétiques et américaines, ainsi que la résistance. Après cette défaite, l’État soviétique a été renforcé.

Dans le cadre d’un pacte impliquant l’URSS de l’époque et les principaux pays capitalistes, les démocraties bourgeoises ont été reconstruites et sont devenues les régimes politiques dominants en Europe capitaliste, tandis que l’URSS maintenait sous sa tutelle les états de l’Est. L’Allemagne s’est retrouvée divisée et sa partie occidentale est devenue le rôle de fleuron du capitalisme européen, jusqu’à ce que l’unification soit finalement réalisée selon les lois du mode de production capitaliste, lors de ce qui est entré dans l’histoire comme l’effondrement soviétique.

Pour analyser les subjectivités de cette période d’après la chute du mur de Berlin, il faut d’abord reconnaître que le mouvement communiste a subi de graves défaites en voyant son nom associé à l’avènement du stalinisme. Le mouvement de masse a souffert une désorientation programmatique encore non surmontée à ce jour. La crise du stalinisme dans les années 1980 et la crise de la social-démocratie et des démocraties bourgeoises qui a commencé alors, mais s’est accélérée au XXIe siècle, encore plus après la crise de 2008, ont mené à un cadre global de désorientation générale. Peut-être est-ce là la marque centrale de la subjectivité du présent et, dans ce scénario, nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouvelles contradictions et tensions qui font resurgir des problèmes qui, apparemment, appartenaient au passé. Apparemment, parce que le nazisme n’était pas seulement un moment irrationnel dans le développement du capitalisme. C’est une pensée qui se renforce à mesure que le mode de production se reproduit en décadence.

Nous voulons marquer d’emblée que l’analyse de la situation mondiale contemporaine, à partir des années 1980, doit tenir compte du fait que les effets de la subjectivité ne peuvent s’encadrer dans une seule contradiction. Nous ne sommes plus face à un scénario mondial dont la contradiction entre capitalisme et communisme, entre bourgeoisie et prolétariat, est la contradiction fondamentale et exclusive. Il existe un autre axe, une autre grande contradiction, à partir duquel les subjectivités se développent et les choix se font. C’est la contradiction entre la modernité et la tradition. C’est l’une des principales contributions d’Alain Badiou à la pensée politique contemporaine. Je travaille sur le sujet dans mon livre sur le philosophe marocain/français. L’argument qui suit est tiré de mon propre livre.

L’une des marques de la tradition est la volonté de préserver, de répéter l’identité. La défense des valeurs, de la nationalité, de l’étranger comme menace. Outre le patriotisme, la défense éventuelle d’une race ou d’une religion. Il n’est pas nécessaire d’être un grand érudit pour reconnaître ici les caractéristiques du nazi-fascisme. Ainsi, les subjectivités contemporaines combinent ces quatre déterminants – capitalisme, communisme, modernité et tradition – et non pas deux seulement. Et il n’y a pas de hiérarchie entre eux. Il y a de plus en plus d’éléments de subjectivation de la tradition dans le capitalisme. En Europe, la xénophobie est le résultat de cette subjectivité, notamment la persécution des étrangers et l’islamophobie. Au Moyen-Orient, les mouvements fascistes (ou postfascistes) d’ISIS sont également pris dans cette subjectivité.

Trump veut s’appuyer sur une subjectivité qui s’appuie sur le capitalisme et l’obscurantisme. Avec un discours de défense de l’Amérique pour les Américains, il veut s’appuyer sur la xénophobie, le racisme et la religion, sur la prédominance de l’homme blanc et riche, s’imposant aux autres, notamment contre les noirs, les latinos et les immigrés en général. Et sa politique n’est pas nouvelle. Dans les années 1980, Nahuel Moreno soulignait déjà que Reagan, le président républicain le plus semblable à Trump, était un adepte d’une philosophie aux habits bibliques désireux d’accélérer la lutte contre le mal face à ce qu’ils prétendaient être la période d’Armageddon. À l’époque, le mal absolu était l’URSS d’alors et le mouvement socialiste en général. C’était le moment de la guerre des galaxies où, en fait, une politique de troisième guerre mondiale contre l’URSS a commencé à être préparée. Le fondamentalisme religieux était la base de masse de cette politique. Trump, maintenant sans l’URSS, actualise ce fondamentalisme et le dirige contre les immigrants et dans l’affirmation de l’Amérique blanche, masculine et raciste. Il la dirige également contre la Chine. C’est la signification symbolique de la photo, bible en main, devant l’église Saint John’s..

Les difficultés à réunir la classe dirigeante américaine autour de ces pensées sont nombreuses. Pas tant en ce qui concerne la Chine, où il y a une plus grande unité dans le conflit bien que la vision politique ne soit pas unanime. Mais il n’y a pas unité, par exemple, pour une politique de confrontation ouverte contre les immigrés, loin de là, et encore moins sur l’obscurantisme face au mouvement des femmes, au mouvement LGBTQI et pas davantage l’accord pour affronter la puissante force de contestation anti-systémique qui porte inévitablement le mouvement noir. Sur ce point, Trump pourrait même être en train de perdre du terrain. Des forces sociales très puissantes lui font face. Et les capitalistes savent compter. Le poids des immigrants au sein des pays du noyau dur est également très visible. C’est également vrai pour l’Europe. L’équipe de football française composée de la troisième génération d’immigrés d’Afrique et célébrée par la population française noire qui envahit les banlieues et le métro parisien n’est qu’un petit échantillon de ce changement démographique brutal.

Il y a aussi une question subjective qui traverse de larges secteurs des classes moyennes et même des parties importantes de la classe dirigeante. La subjectivité de la modernité accompagne également le capitalisme. La contradiction entre modernité et tradition ne se produit donc pas entre des modes de production opposés. Elle se produit aujourd’hui dans le mode de production capitaliste même. Et la subjectivité moderne, d’ailleurs, trouve son origine dans le capitalisme et se renforce avec son développement : libre-échange, tourisme, régime démocratique bourgeois, création artistique, scientifique et technique. Dans de nombreux cas, cette subjectivité moderne finit par être associée au capitalisme, puisque celui-ci est présenté comme le seul mode de production naturel et que la perspective communiste semble appartenir au passé aux yeux de larges pans de la société.

La mémoire de l’expérience nazie sert aussi à faire en sorte que la confrontation contre l’extrême droite xénophobe et raciste soit faite aussi par les partis bourgeois du système lui-même. C’est le cas dans certains pays européens et cela se révèle dans l’affrontement de parties importantes du parti démocrate contre Trump, et pas seulement celles représentées par l’indépendant Bernie Sanders. Après tout, le nazisme a essayé d’aller au-delà de la simple reproduction du système capitaliste. Il s’agissait de l’expérimentation d’un mode de production qui reposait non seulement sur le travail salarié, mais aussi sur le travail d’esclave des Juifs, des communistes et des pays conquis. Je crois que l’analyse de Nahuel Moreno était correcte sur ce point. Rien de tout cela ne signifie qu’il faut faire confiance et encore moins appeler à faire confiance aux classes moyennes et aux parties démocratiques de la classe dirigeante. Sans une lutte décisive du peuple travailleur, des secteurs exploités et opprimés, des mouvements noirs, des jeunes, des femmes et des immigrés, l’extrême droite sera victorieuse ou nous entraînera inexorablement vers une rupture sociale permanente et la destruction des conditions environnementales de la vie. Mais ne pas faire confiance ne signifie pas ne pas reconnaître les divisions dans les secteurs supérieurs et moyens et ne pas savoir comment en tirer parti. Et dans cette lutte, il faut savoir que la pensée d’extrême droite sera toujours présente comme une tendance à rechercher l’hégémonie parmi les capitalistes, car l’une des essences du capitalisme est de produire des phénomènes irrationnels et contre-révolutionnaires. L’extrême-droite surgit et s’impose toujours lorsque le mouvement révolutionnaire se développe. De plus, et c’est aujourd’hui la principale explication de sa force, elle occupe les espaces laissés par la crise du système et les frustrations générées par la démocratie bourgeoise, la social-démocratie et le stalinisme. Et, bien sûr, de la faiblesse du marxisme révolutionnaire en tant qu’organisation qui n’a pas su profiter de la crise capitaliste pour se développer.

Une idée alternative antisystème devrait combiner le drapeau de l’égalité, base du communisme, avec la modernité, dont l’identité est encore avec le capitalisme démocratique bourgeois en raison du poids de l’expérience des États dits socialistes, dont la tradition et la répression furent la marque, et non la modernité. Hormis la richesse de l’explosion culturelle, artistique, comportementale des années 1920 dans l’ex-URSS – et vécue également dans les moments de révoltes et de révolutions dans les pays de l’Est, notamment en Hongrie en 1956 et en République tchèque en 1968 – cette expérience défendait la conservation du parti, de l’État, des symboles, de la discipline, l’absence de liberté non seulement en politique mais aussi en art. L’expérience de la modernité combinée au mode de production non capitaliste a été de courte durée et ses marques ne sont plus visibles pour les travailleurs et les peuples du monde. Le stalinisme a produit la frustration des espoirs en un régime égalitaire et libre. Il a produit de telles frustrations dès sa création à la fin des années 1920 du siècle dernier, mais l’appareil stalinien est resté une force étatique jusqu’aux années 1980 du 20e siècle. Par conséquent, sa défaite a également été positive pour un projet de refondation de l’idée communiste.

Un mouvement communiste renouvelé ne peut se renforcer s’il ne se pose pas aussi en défenseur d’une nouvelle modernité, qui allie égalité et liberté. En même temps, il est impossible de développer une stratégie d’émancipation qui ne mette pas à l’ordre du jour politique, de manière permanente, l’unité la plus large pour vaincre les forces de l’extrême droite. Cette nécessité doit être prise en compte dans la politique quotidienne et dans la l’appréciation des tactiques d’unité avec les forces démocratiques, y compris les forces bourgeoises, réformistes et/ou bureaucratiques. Savoir comment contourner les deux contradictions fondamentales de notre époque est un défi qui doit guider nos efforts, notre élaboration et notre action. Il est évident que toute cette orientation est d’actualité pour le Brésil d’aujourd’hui.

Roberto Robaina est un dirigeant du PSOL et du Movimento de la Gauche Socialiste (MES), rédacteur en chef de Revista Movimento et conseiller municipal à Porto Alegre (Brésil)


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