Panama : Un soulèvement écologique met à la porte une société minière transnationale
La Cour suprême du Panama a jugé inconstitutionnel le contrat signé entre l’État et Minera Panamá pour l’exploitation de la mine de Cobre Panamá, après des semaines de manifestations massives et constantes exigeant sa fermeture.
Pour en savoir plus sur le soulèvement environnemental de masse qui a permis de mettre en échec une transnationale minière, Federico Fuentes, de Green Left (Australie) et Antonio Neto, de Revista Movimento (Brésil), se sont entretenus avec José Cambra, militant socialiste et membre de l’Association des professeurs du Panama (ASOPROF).
Minera Panamá, filiale de la société transnationale First Quantum Minerals (FQM), exploitait depuis 20 ans l’immense mine de cuivre et d’or à ciel ouvert située dans le corridor biologique méso-américain, une zone écologiquement sensible.
Toutefois, en vertu d’un nouveau contrat approuvé par le Congrès en octobre, Minera Panamá devait prolonger ses activités pour 20 années supplémentaires, avec des pouvoirs supplémentaires pour exproprier les terres avoisinantes en dehors de sa concession existante et détourner des rivières entières pour sa propre utilisation
Pouvez-vous expliquer ce qui a déclenché ces manifestations ?
La constitution panaméenne interdit la gestion des ressources naturelles du Panama par des états étrangers. FQM est détenue par des capitaux du Canada, des États-Unis, de la Corée du Sud et de la Chine. Il ne s’agit pas seulement d’une entreprise privée étrangère, elle est également détenue en partie par des capitaux de ces états étrangers.
Malgré cela, l’entreprise a exploité le cuivre et d’autres minéraux dans la mine sans payer d’impôts entre 2017 et 2023. Selon les rapports financiers de FQM, la mine de Cobre Panama représentait 48 % des bénéfices globaux de FQM.
Le problème a atteint son paroxysme en août, lorsque le gouvernement a présenté un nouveau contrat à l’Assemblée des députés. Les syndicats, les avocats et les écologistes ont réagi en affirmant que le contrat présentait les mêmes défauts que les précédents et que la Cour suprême devait déclarer le gouvernement coupable d’outrage au tribunal en raison de l’inconstitutionnalité du contrat.
Au lieu de cela, le Congrès a approuvé le contrat le 21 octobre après seulement trois jours de discussion. Cela a provoqué une explosion sociale dans un pays déjà à bout à cause des prix exorbitants des médicaments, l’absence de sécurité sociale et le coût très élevé de la vie.
L’année dernière, le Panama avait connu des mobilisations qui avaient contraint le gouvernement à conclure un accord sur certaines de ces questions. Mais le gouvernement ne les a pas respectés. Les gens sont donc redescendus dans la rue.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les mobilisations de l’année dernière ?
L’intensité des dernières manifestations s’explique en grande partie par le fait que l’accord de l’année dernière n’a pas été respecté.
En 2022, nous avons assisté aux plus grandes mobilisations que le pays ait connues jusqu’alors. Dans tout le pays, des manifestations, des marches et des affrontements avec la police ont eu lieu pour réclamer une réduction du coût des médicaments et des denrées alimentaires.
Tout cela a débouché sur des négociations publiques entre le gouvernement et les organisations qui menaient la lutte. Nous avons exigé que les négociations soient retransmises à la télévision, ce qui a été spectaculaire.
À la fin, l’association des entrepreneurs a demandé au président d’interrompre la diffusion parce que tout le pays suivait le débat, et que l’oligarchie y était publiquement dénoncée.
Une très grande partie de la population a suivi les négociations, du presque jamais vu. Tout d’un coup, les gens dans la rue nous disaient : “Hé, je suis d’accord avec ce dont vous parliez hier, je suis d’accord pour que ce soit comme ça”.
Les mobilisations ont eu lieu tous les jours pendant un mois. Bien qu’elles n’aient pas été aussi importantes que les récentes, de grandes marches ont eu lieu à Panama City, la plus grande ville du pays, principalement sous l’égide du syndicat des enseignants, ASOPROF, et du syndicat des travailleurs de la construction, SUNTRAC.
L’ASOPROF et le SUNTRAC ont également joué un rôle important dans les dernières luttes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Oui, c’est exact. Nous avons commencé à construire une alliance d’organisations populaires au début de l’année dernière. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à attirer tout le monde dans cette alliance, mais nous avons réussi à impliquer de nombreuses autres organisations.
Cette alliance s’appelle l’Alliance du Peuple Uni pour la Vie Alliance (APUV). Elle implique SUNTRACS, ASOPROF, des mouvements communautaires, des mouvements de jeunesse. C’est une alliance très forte, mais ce n’est pas la seule.
Il existe également l’Alliance nationale pour les Droits du Peuple Organisé (ANADEPO) et la Coordination Nationale des Peuples Autochtones du Panama (COONAPIP).
Il est important de noter que les peuples des nations originaires ont joué un rôle très important dans ces récentes manifestations, en particulier les Ngäbe qui ont bloqué l’autoroute interaméricaine en direction du Costa Rica, réussissant ainsi à fermer l’une des autoroutes les plus importantes du Panama.
En ce qui concerne mon syndicat, l’ASOPROF, nous avons organisé des assemblées d’enseignants dans chaque région après le vote du 21 octobre, au cours desquelles les membres ont voté une grève de 48 heures. Cette grève a ensuite été prolongée de 48 heures et, le 30 octobre, nous avons déclaré la grève illimitée.
Le 3 novembre, il était clair que les protestations avaient atteint un nouveau niveau. Il y avait des barrages routiers dans tout le pays, bien au-delà de ce que nous avions vu en 2022. Des personnes que nous n’avions jamais rencontrées lors de manifestations, mais qui en avaient assez de la situation actuelle, sont descendues bloquer les rues de leur quartier.
Des appels spontanés ont également été lancés sur les médias sociaux pour organiser des marches le long du périphérique côtier à Panama City, qui ont mobilisé à un moment donné un quart de million de personnes contre l’exploitation minière.
D’importantes manifestations ont également été organisées par les communautés vivant dans les zones entourant la mine. Lorsque des congressistes les ont consultés, ils se sont déclarés totalement opposés au projet.
À tel point que les pêcheurs ont commencé à saboter la mine en empêchant les bateaux de quitter la mine avec du minerai ou d’y entrer avec le charbon nécessaire à la production d’électricité pour la mine. Ils ont essentiellement forcé la mine à fermer.
A certains instants, cela a signifié affronter la force navale panaméenne. Pour cela, la population les considère comme des héros.
Sur terre, les communautés locales et les chauffeurs de camion ont bloqué les routes menant aux mines, réussissant ainsi à saboter leur fonctionnement. Tout cela a été une incroyable démonstration de force.
Bien sûr, derrière cette éruption de protestations s’exprimait aussi le mécontentement face aux pénuries d’eau, aux coupures d’électricité, au manque d’emplois pour les jeunes, ainsi qu’à la corruption et aux privilèges des politiciens pro-patrons.
Cela a créé un terrain propice aux plus grandes mobilisations que nous ayons jamais vues dans ce pays, avec environ 1 million de personnes dans les rues de tout le pays le 22 novembre.
Nous avons assisté à un mouvement véritablement autogéré, où différentes sections, par exemple les pêcheurs, ont pris des décisions basées sur leurs connaissances locales et les ont mises en œuvre avec le soutien du reste du mouvement. Nous avons vu des jeunes organiser des actions directes et des gardes d’autodéfense.
Il y a eu rupture entre la société civile et la société politique. Le niveau de désaffection politique était si élevé qu’il ne serait pas injuste de le qualifier de situation prérévolutionnaire. Il n’y a pas eu de vacance du pouvoir ni de création d’organes permanents de double pouvoir. Mais les mobilisations étaient si fortes qu’elles ont agi comme un pouvoir indépendant.
Le résultat a été que la Cour suprême a jugé le contrat minier inconstitutionnel le 28 novembre. Les manifestations ont également entraîné la démission du ministre du commerce, qui avait signé le contrat, et l’approbation, début novembre, d’une loi de moratoire sur l’exploitation minière qui interdit l’octroi de toute nouvelle concession.
La prochaine étape de la lutte ?
Bien que la lutte ait porté sur la fermeture de la mine, nous reconnaissons qu’il y a encore environ 5 000 travailleurs employés à la mine. Nous proposons que ces travailleurs eux-mêmes président à la fermeture progressive de la mine.
La mine ne peut pas être fermée immédiatement et qu’il est nécessaire de prendre des mesures pour une reconversion sûre et écologique du site. Nous pensons que les travailleurs devraient rester pour mener ce processus.
Nous avons également proposé qu’une commission impliquant des organisations de travailleurs et des organisations populaires, ainsi que des environnementalistes possédant une expertise technique, soit formée pour présider à ce processus. Nous ne sommes pas favorables à la nationalisation de la mine, car cela signifierait que l’État paierait pour le processus de reconversion.
Au lieu de cela, la compagnie minière, qui est responsable de la contamination de l’environnement et qui a fait sortir tant de profits du pays, devrait en supporter les coûts. Notre mot d’ordre est : “faire payer les pollueurs !”.