Un automne féministe pour la défense de l’avortement légal
Mobilisé contre un projet de loi récent sur l’avortement et la régression qu’il implique, le mouvement des femmes renoue avec les manifestations de rue.
L’avortement est toujours considéré Brésil un crime puni de peine de prison. Néanmoins, depuis 1940, l’interruption de grossesse est autorisée lorsque la grossesse est due à une violence sexuelle ou met en danger la vie de la mère, et depuis 2012, en cas d’anencéphalie du fœtus. Un projet de loi déposé par l’extrême droite remet en cause ses dispositions et durcit les peines encourues par celles qui ont recours à l’interruption de grossesse. [NdT]
Le mois de juin 2024 a déjà été marqué par un puissant soulèvement féministe contre un nouvel attaque de Bolsonaro et des secteurs fondamentalistes contre la vie des jeunes filles et des femmes. Après le vote précipité de la Chambre des députés sur le régime d’urgence de la loi 1904/2024 – qui criminalise l’avortement après la 22e semaine de grossesse, y compris en cas de grossesse résultant d’un viol – la révolte qui montait déjà dans l’opinion publique et sur les médias sociaux contre ce projet infâme est descendue dans la rue en moins de 24 heures. Dans des dizaines de villes, des milliers de femmes se sont mobilisées pour faire annuler le projet de loi.
Attaques contre les dispositions légales d’interruption de grossesse
Ces dernières années, l’extrême droite brésilienne a mobilisé ses bases les plus réactionnaires pour remettre en cause les dispositions légales d’avortement dans le pays. Déjà sous le gouvernement Bolsonaro, les tentatives d’entraver l’accès à ce droit, conquis par les femmes brésiliennes il y a plus de 80 ans, ont été nombreuses.
L’exemple le plus emblématique de cette persécution fondamentaliste a été le cas, en 2020, d’une enfant de l’Etat de l’Espírito Santo tombée enceinte après avoir été violée pendant des années par son oncle. Elle et sa grand-mère ont parcouru une longue pérégrination dans une série de services de santé sans pouvoir accéder au droit à l’avortement légal. Confrontée la difficulté de réaliser une interruption de grossesse, un droit garantit par la loi, cette enfant a dû en plus subir une série de manifestations et d’intimidations de la part de militants d’extrême droite. La jeune fille a dû se rendre dabs l’état voisin de Pernambuco pour réaliser l’avortement dans un hôpital qui a accepté de l’accueillir, mais elle a été contrainte à rentrer dans l’établissement cachée dans le coffre d’une voiture pour éviter la fureur des partisans de Bolsonaro qui l’insultaient et la traitaient de meurtrière à la porte même du service de santé.
C’est dans ce contexte de barbarie contre la dignité des filles et des femmes que le gouvernement Bolsonaro a tenté de faire passer une ordonnance obligeant les femmes ou les filles-enfant cherchant à avorter légalement à subir une véritable torture psychologique, comme écouter les battements de cœur du fœtus avant d’interrompre la grossesse.
Ces mesures prises par Damares, Bolsonaro et Pazuello ont été reçues comme un signal par le bolsonarisme dans tout le pays. Les attaques contre le droit à l’avortement établi par la loi au Brésil s’est étendue aux villes et aux États du pays. Aujourd’hui, dans plusieurs villes, nous voyons des lois approuvées ou débattues par le législatif local pour empêcher les les victimes de viol d’accéder au droit à l’avortement légal.
A São Paulo la gestion du maire Ricardo Nunes est devenue une vitrine de l’extrême droite lorsqu’il s’agit de faire remettre en cause les droits des filles et des femmes. Son administration a pris des mesures pour fermer les services d’avortement légaux historiques de la ville, tels que l’hôpital Vila Nova Cachoeirinha, et a persécuté – en partenariat avec le Conseil Régional de Médecine de São Paulo – les médecins qui travaillent dans ces services et les patientes qu’ils traitent.
Plus récemment, le Conseil Fédéral de Médecine est intervenu pour renforcer la lutte misogyne contre nos droits. En avril, le CFM a publié une résolution interdisant l’asystolie fœtale pour les avortements pratiqués après la 22eme semaine de grossesse. Comme il s’agissait d’une attaque anticonstitutionnelle flagrante, le PSOL, avec Anis – Instituto de Bioética et le Projet Cravinas, a questionné auprès de la Cour suprême fédérale pour questionner la constitutionnalité de cette résolution et la faire annuler. Une injonction accordée par le juge Alexandre de Moraes a suspendu la résolution ainsi que l’annulation des enregistrements des médecins sur la base de cette mesure illégale.
C’est dans ce contexte grave que le collectif Juntas! [Ensemble!] a lancé en mai la campagne nationale Pas un pas en arrière : l’avortement légal est un droit ! dans le but de renforcer la résistance aux attaques de l’extrême droite contre nos droits.
LE PROJET DE LOI DU VIOLEUR
À la Chambre des députés, le groupe fondamentaliste a présenté il y a un mois le projet de loi 1904/2024, qui vise à assimiler l’avortement, lorsqu’il est pratiqué après la 22e semaine de grossesse, à un meurtre, même lorsque la grossesse est le résultat d’un viol. S’il était adopté, le Brésil disposerait d’une législation prévoyant des peines plus sévères pour les victimes de viol que pour les violeurs. Et, comme nous le savons, ce sont les jeunes filles et les femmes noires qui seraient le plus durement touchées, car elles sont les principales victimes de la violence sexuelle dans le pays. La présentation de la proposition coïncide avec le débat public suscité par la résolution du CFM, qui avait le même objectif, et a été déposée, ce qui n’est pas un hasard, le jour même où M. Moraes a accordé l’injonction de suspendre le règlement du Conseil. Les fondamentalistes veulent faire la guerre à la Cour suprême, mettant en jeu la vie des jeunes filles et des femmes brésiliennes.
Dans un contexte d’escalade de la violence politique de la part de l’extrême droite à la Chambre des députés, de défaites du gouvernement Lula au Congrès, alors que l’échéance des élections municipales se rapproche, comme celle, imminente, de la succession à la présidence de la Chambre des députés, Arthur Lira a fait signe aux partisans les plus radicaux de Bolsonaro et a mis à l’ordre du jour un vote sur le régime d’urgence du projet de loi sur la grossesse des enfants, comme le désigne surnommé le mouvement féministe, ou le projet de loi sur les violeurs, qui a gagné en notoriété dans l’opinion publique.
Par un vote furtif et honteux, en 24 secondes, Lira a approuvé l’urgence du projet de loi mercredi dernier. Ce passage en force du président de l’Assemblée et le contenu aberrant du projet de loi, ont provoqué une vive émotion dans l’opinion publique et l’indignation s’est rapidement manifestée dans les rues.
LE MOUVEMENT FÉMINISTE DE NOUVEAU DANS LA RUE
Le lendemain matin de l’approbation en urgence du projet de loi sur le viol, des appels à des manifestations spontanées avaient déjà été lancés à São Paulo, Rio de Janeiro, Brasilia et Florianópolis. À moins de 10 heures de l’événement, les manifestations ont rassemblé des milliers de personnes. Les jours suivants, des dizaines de villes se sont jointes à la mobilisation. Samedi dernier, la ville de São Paulo a connu une nouvelle manifestation avec plus de 10 000 personnes occupant l’avenue Paulista.
Arthur Lira et les fondamentalistes ont provoqué le mouvement féministe qui, bien qu’il n’ait pas été en mesure de coordonner de fortes mobilisations ces derniers temps, a la mémoire vive et l’expérience des luttes féministes de la dernière décennie. Si, en 2015, le féminisme brésilien est descendu dans la rue contre un projet de loi qui s’attaquait également aux droits sexuels et reproductifs des femmes et a emmuré le président de la Chambre de l’époque, Eduardo Cunha, les femmes reprennent aujourd’hui le combat et visent cette fois Arthur Lira, le chef d’orchestre d’une nouvelle attaque misogyne contre la vie des filles et des femmes.
Nous continuerons à nous battre dans les rues jusqu’à ce que le projet de loi 1904 soit abandonné et que le mouvement féministe inflige une nouvelle défaite aux fondamentalistes, à Bolsonaro et à Arthur Lira. La lutte pour un avortement légal, sûr et gratuit pour toutes les filles, les femmes et les personnes enceintes reste également d’actualité, suivant l’exemple des pays d’Amérique latine qui ont progressé dans cette voie.