Argentine : un nouveau temps politique
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Argentine : un nouveau temps politique

La nouvelle situation politique en Argentine sous le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei.

Eduardo Lucita 22 out 2024, 08:29

La scène internationale montre un fort « risque géopolitique » dû aux guerres qui menacent de s’étendre, à la montée de l’extrême droite et à des sociétés divisées presque complètement en deux avec de sérieux risques de confrontation interne et à la situation dans Notre Amérique. Avec des gouvernements comme celui de Milei dans notre pays, de Bukele au Salvador et de Noboa en Équateur. En outre la situation au Venezuela, objet de débats dans toute la région, aujourd’hui plus fragmentée.

C’est dans ce contexte que le président Milei s’est exprimé à l’Assemblée générale de l’ONU, après l’«acting» de la cloche à Wall Street et sa rencontre avec des hommes d’affaires de premier plan. Il a accusé l’ONU d’être une institution qui ne sert qu’à stimuler des idées socialisantes tout en réitérant son négationnisme environnemental et sa vision rétrograde des progressismes. Il a rejeté le « Pacte pour l’avenir » et décidé de ne pas adhérer à l’Agenda 2045. Il a entériné sa non-neutralité et son alignement inconditionnel sur les États-Unis et Israël. Un sacré changement de cap pour le pays.

Si quelque chose était clair dans son discours à l’Assemblée générale, c’est qu’il ne s’adressait pas aux présidents lá réunis, mais aux puissants de ce monde. Aux 1% qui concentrent la richesse mondiale, aux grandes entreprises, cherchant à démontrer qu’idéologiquement, il est l’un d’entre eux. Que l’Argentine, sous sa présidence, veut être le plus ardent défenseur et de porte-parole du programme du grand capital international et de la constitution d’un organisme supranational, au-dessus de la souveraineté des États-nations.

C’est ce positionnement international, ainsi que ses convictions sur les propositions de l’école autrichienne, qui définissent l’orientation des politiques officielles dans notre pays et par lesquelles le président Milei se voit et se présente comme le fondateur d’une nouvelle étape historique de la politique locale.

Ce nouveau moment mondial s’est accélérée de manière vertigineuse dans notre pays. Depuis l’adoption de la Loi Bases[1] et d’un ensemble de mesures fiscales. La temporalité de la crise a ouvert le temps des l’urgences. Celles du gouvernement (pour faire avancer son programme au plus vite) et celles des travailleurs (pour stopper la barbarie sociale en cours). Le temps joue en faveur des deux côtés.

Tout se déroule dans le cadre d’une macroéconomie qui, en termes néolibéraux, «s’arrange », même avec ses incohérences et ses contradictions, et d’une microéconomie qui, confiée par le président aux hommes d’affaires, ne décolle pas et où le coût de l’arrangement de la macroéconomie se manifeste dans les indices dramatiques de pauvreté et d’indigence et la peur de perdre son emploi.

Il y a quelques mois encore, on disait que le gouvernement était davantage remis en question par «le haut» que par «le bas». Aujourd’hui, «le haut» semble plus calme. Les pressions du patronat, de divers économistes libéraux et de la CGT ont été tempérées, le FMI observe attentivement, fait pression mais n’étrangle pas. Il n’y a pas, pour l’instant, de conflits inter capitalistes ouverts. Seuls subsistent les différends et les tensions au sein du gouvernement et dans la LLA[2], et entre la LLA et le PRO, qui monte en intensité. Des différends qui ne changent pas le cours général des choses.

En bas, les conflits se multiplient, sans que l’on puisse parler d’une vague de luttes. Il y a des conflits, des mobilisations et des débats pour des raisons et des objectifs multiples et variés dans tout le pays sans qu’on parvienne à les unifier, ni commencer à dépasser la fragmentation (est-elle déjà structurelle ?) et à leur donner une perspective commune. Il n’y a pas non plus de grands projets politiques en vue qui rompraient avec le néolibéralisme et ouvriraient des voies vers des transformations plus profondes.

Cependant, le conflit sur le financement des universités et peut-être aussi celui de l’aéronautique, auquel s’ajoute maintenant celui de la santé, pourraient être les cas emblématiques qui ouvriraient une nouvelle ère politique.

Nous sommes en attente des décisions des syndicats des transports sur une éventuelle grève générale le 30 de ce mois, ce qui constituerait une manifestation de solidarité qui élargirait le champ du conflit. Quant à la récente marche fédérale pour la défense de l’université publique, elle a été massive dans tout le pays, avec des changements quantitatifs et surtout qualitatifs en termes de composition et d’objectifs plus politiques. Cette massivité exerçait une pression sur le parlement pour qu’il renverse enfin le veto du président et maintienne la loi en vigueur. Au contraire, le gouvernement a réussi à imposer son veto, mais il s’agit d’un triomphe à la Pyrrhus : il a gagné au parlement, mais il perd dans la rue.

Après l’imposition du veto, le mouvement étudiant, très calme depuis longtemps, a spontanément explosé. Les étudiants, les enseignants et les travailleurs non enseignants se sont réunis et se sont déclarés en état d’assemblée permanente où les décisions sur la conduite du mouvement sont prises  collectivement. Les facultés sont occupées (une soixantaine dans 29 universités du pays à l’heure où nous écrivons ces lignes), des cours publics sont organisés, des rues et des avenues sont bloquées. Il s’agit d’un mouvement fédéral de grande ampleur nationale, qui reprend les vieilles traditions du mouvement étudiant, lequel a joué un rôle important à plusieurs moments de notre histoire (réforme universitaire de 1918, Cordobazo de 1969).

Tous sont conscients qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de financement – la somme demandée est minime en termes de PIB – mais qu’il s’agit d’une lutte politique et idéologique pour le destin de la culture générale du pays et son horizon futur. Ils sont également conscients qu’il s’agit d’un combat de longue haleine, le gouvernement n’ayant pas la possibilité de reculer. La manière dont ce conflit sera résolu, s’il pourra stimuler les luttes dans d’autres secteurs, en particulier dans le mouvement ouvrier, peuvent décider comment la lutte des classes se poursuivra dans le pays et du sort du gouvernement Milei lui-même.

En attendant, nous entrons dans le dernier trimestre de l’année sans indices significatifs de sortie de la phase dépressive du cycle. Le taux d’intérêt va-t-il enfin franchir le plancher des 3% comme l’espère le gouvernement pour octobre ? Le flux de dollars, résultat d’une batterie de mesures dont le blanqueo[3], va-t-il enfin améliorer le niveau des réserves ? La levée du contrôle des changes va-t-elle enfin apporter les investissements espérés ? Tout reste à voir.

Les vieilles questions demeurent : comment intervenir dans la crise, sans se limiter à soutenir et stimuler les luttes ? Comment exprimer l’objectif commun qui fasse converger toutes les luttes ? Comment faire prendre conscience aux protagonistes que les événements dans lesquels ils sont impliqués dépassent l’objectif immédiat ? Comment élever le niveau politique des protagonistes et de leurs luttes ?

Et l’ambiance sociale ? Combien de temps allons-nous supporter cette barbarie qui semble ne pas avoir de fin ? Le mouvement étudiant en cours pourrait être décisif. Là aussi, tout reste à voir.


[1] La loi  «Loi Bases et points de départ pour la liberté des Argentins», qui organise le démantèlement de l’État argentin a finalement été adoptée par le Sénat dans la nuit du mercredi 12 au jeudi 13 juin [NdT].

[2] LLA, La Liberté Avance est la coalition d’extrême droite représentée par Milei au premier tour des élections présidentielles. Le PRO, Proposition Républicaine est une coalition de droite, regroupant en particulier les partisans de Macri ; représenté par Patricia Bulich au premier tour, il  apporte on soutien à Milei au second tour [NdT]

[3] Blanqueo (blanchiment). Une des mesures fiscales mise en œuvre par Milei prévoit de amnistier les fraudeurs et de « blanchir » les capitaux non déclarés pourvus qu’ils soient investis dans l’économie argentine jusqu’en décembre 2025 [NdT].


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